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Si loin que l’oiseau
Daniel BROCHARD, « poète maudit » d’aujourd’hui, s’est donné la mort le 22 janvier 2023. Catherine ANDRIEU, son amie de toujours, lui écrit, si loin que l’ait emmené son essor, ce recueil dédié à sa mémoire.
Si loin que l’oiseau, plus qu’un livre d’hommage, est un livre d’orages. Il rend la vérité d’une relation complexe entre deux êtres inadaptés et épris d’absolu – l’un comme l’autre failles affamées d’ailleurs, béances de l’esprit ouvertes aux grandes traverses déroutantes de l’imaginaire.
L’entrechoquement des sentiments contradictoires, le chaos émotionnel, est la loi de cette relation. L’amour et la haine, bien sûr (dès le premier poème, qui donne la note de tout le recueil, et dans lequel les calembours crachent leurs sarcasmes désespérés) – et leurs nuances : tendresse, tristesse, attentes et espérances, désespoirs, ironie cinglante, douceur des souvenirs, compréhension, incompréhension, inquiétude, impatiences, appels et supplications, sentiment de proximité, effroi de la perte, reproches, accusations…
Catherine ANDRIEU est un esprit particulièrement lucide – quant à autrui, et quant à soi. Si pourtant l’exaspère, et l’excède et l’égare, le chaos émotionnel, c’est sans la diviser : car sa conscience réflexive sait la réunir à elle-même, par un détour qui la recentre. Ainsi, dans son art, dans sa poésie – comme peut-être dans tout Art, toute Poésie qui franchit les portes de corne et d’ivoire –, le chaos se révèle-t-il régime transcendant de la lucidité.
Si loin que l’oiseau est une œuvre de haute vérité, poétique et humaine.
J.H. -
Chant pour une âme sans défense
La poésie – l’écriture poétique – est un détour qui
mène droit à l’essentiel. C’est aussi un phrasé – qui
gagne, en certains cas, à la discordante concordance du
son et du sens.
Claude CAILLEAU possède, au-delà de l’impeccable versification, l’art raffiné de l’écriture poétique.
Dans son maître-livre Chant // pour une âme sans défense, Claude CAILLEAU va au coeur de notre expérience existentielle, soumise à la tyrannie du Temps : sombre tonalité… confidences voilées, recelant et imposant le frémissement continu, et pénétrant, de la fragilité humaine… douceur sourdement poignante de la vie, qui chemine en son âme endeuillée, sous l’éclairage oblique d’une mémoire crépusculaire…
Mais, dans le même temps, la magie d’une forme souplement rigoureuse et musicale, blonde vapeur d’aurore, libère, au bienheureux soulagement de la fatale mélancolie, les balsamiques fastes d’une voix qui s’enfante aux stances qu’elle enchante…
Tel est l’humble et humain « miracle » » de la Poésie, « alchimie de la Douleur ».
J.H. -
Solstices
Solstices traite d’un sujet grave – le tragique de la condition humaine, prise dans l’étau du temps et de la mort. Mais en lisse l’âpreté par la fluidité d’un verbe mélodieux, à la douceur caressante, et la vertu d’une délicatesse de ton fragile, précieuse, constamment digne.
Sensible, contemplative, méditative, portée par une langue simple, mais d’une écriture très métaphorique, la poésie de Michel SANTUNE infuse aussi, discrètement, et tenacement de toute la puissance d’émerveillement d’un poète qui sait être visionnaire, la beauté des êtres et du monde, donnée comme par grâce. Le lecteur y trouvera un pain de vie, de compassion et d’adhésion ; il sera irrésistiblement emporté par un sentiment de sympathie et d’union fraternelle.
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L’animal vertige
Stella Nodari écrit sous l’empire d’une réelle nécessité intérieure : dès qu’on entre dans sa poésie, on est emporté par la force d’une quête d’absolu absolument authentique. Elle assume magnifiquement sa féminité et, bien au-delà comme en-deçà de la division des sexes, l’animalité sublime de l’être désirant. Elle met en mots, sans tabous, sous le règne souverain de l’intensité, dans un régime d’érotisme qui se transcende en Amour Fou de la Vie, ce que l’on se cache généralement à soi-même. Aussi peut-elle écrire, sans hypocrite pudeur, et sans impudicité vulgaire :
j’aime quand / je deviens marée haute et slip baissé…
moi boire à toi […] boire à ta langue / comme à de
l’eau de fou de feu / de l’eau de foutre au ras du puits.
« Je suis la route libre et la chair », écrivait Joyce Mansour. Stella Nodari est aussi une « route libre ». Elle ose l’être. Hors des chemins tracés de routes prétendument libres, elle entre-tisse hardiment, inséparablement les voies inverses : sublimation vitale de la chair, incarnation de la transcendance vécue. On lui envie sa liberté, sa complétude… On est un peu honteux de ne pas avoir son audace. On la regarde avec respect.
J.H. -
En haute solitude
En Haute Solitude, né d’une grande et belle solitude dans les Alpes, est un recueil contemplatif, méditatif, riche en sensations personnelles et suggestives. Dans les pas du poète, dont l’art est un art de la pensée en images, on emprunte un chemin vert qui persille, on croise le caillou charnu, l’orchis vanillé, on s’élève vers les sidérations éblouies de l’enfance, pour qu’enfin les ailes palpitent et s’ébrouent de soleil anisé. La solitude dépouillée de l’ego qui s’éteint et s’efface, la quête ascensionnelle d’une altitude spirituelle hors du temps, sont ici célébrées sans grandiloquence, mais avec l’intensité d’un verbe dense, à la gravité en apesanteur. Le lyrisme, pudique et sobre, rythmé par un souffle lisse et retenu, a su épouser la recommandation de la voix intérieure : Sois au plus près des choses qui ne disent / rien… rien autre que le frémissant chuchotement, le murmure insinuant, mais silencieux à force d’être continu, des vérités premières.
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Images d’archives
Le temps flottant, le chassé-croisé des souvenirs
engravés, et des petits faits quotidiens du présent, qui
se succèdent, insolites ou banals, et sans lendemain
peut-être…
Un vieux baby boomer vagabonde entre l’hier et
l’aujourd’hui. Il suggère plus qu’il ne dit. Ici et là, sourd
une mélancolie douce-amère, relevée de pointes d’humour
noir…
remontant la file gauche de l’autoroute / tu doubles
un long poids-lourd / que tu vois diminuer / et lentement
disparaître / dans le rétroviseur / et les profondeurs / de
la distance ah s’il pouvait en être de même /avec ce vieux
et lourd / poids sur ton cœur -
Crépuscules
Ce livre est l’ouvrage d’un lettré.
Claude CAILLEAU est de la race des vrais écrivains, ceux qui ne visent pas le succès, mais cherchent l’absolu.
Qu’on y songe ! Quel projet suranné, et quel défi lancé à la face de l’immédiatisme contemporain ! Renouer, sous l’égide de Mallarmé, avec une prose poétique et subtile, attentive à sa chair, à sa sensualité de phrase musicale, et à sa chorégraphie picturale ! Tout est passionnant dans les choix de l’auteur : la typographie et la disposition visuelle, la ponctuation, le lexique, parfois archaïquement révérenciel (telle vaine), la syntaxe, annexée par le dire poétique.
Une respiration, tantôt pressée, tantôt alentie, tantôt suspendue rythme l’unique phrase. Le long serpentin inexorable de la vie ainsi se déroule, se réenroule, et, sans concessions aux facilités vulgaires, nous émeut, nous effleure, en profondeur, car l’émotion, ici, a la touche délicate, et frémissante, de l’essentiel.
Ce livre est l’oeuvre d’un Poète. -
Dernière minute
X
Je mets les pieds sur le port le vent à l’ouest […]
La contemplation est l’art du pauvre
Il vous regarde hommes de fortune
Loin de vos immeubles en fer blanc
Parfois le regard s’inverse
Votre âme parmi les fanions le vent souffle
Ce n’est pas supportable d’être derrière mes yeux
On me regarde avec mon chapeau et mes lunettes […]
Tirer les bleus sur le port le vent souffle
Sa dernière cigarette sur le bitume -
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Joseph Karma
Joseph Karma est un récit autobiographique en partie fictionnel. Le narrateur y conte les déboires, déconvenues, désillusions du personnage éponyme, un anti-héros, double de l’auteur Denis Hamel. Au fil d’une chronique de l’échec sans larmoiements ou apitoiement sur-soi-même, le lecteur est invité à suivre en observateur impliqué la dérive d’un fantôme de nulle part perdu dans le champ de bataille de l’existence.
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Quête du visage
Admirable phrase-Prologue – qui déroule lentement ses volutes d’attention méditative !
Si la poésie est affleurement délicat de la vie intérieure dans les consciences captées par le monde objectal, avec cette Quête du visage, c’est la vraie poésie qu’offre Michel Santune.
À l’appel silencieux des invisibles signes, un rêveur égaré / à la recherche de lui-même épanche, tout au long d’un monologue recueilli et tremblé, ses interrogations hésitantes, sa sérénité intranquille, sa nostalgie indécise. Tout est caresse, glissement, sensibilité brouillée des entre-deux et des mouvements doubles… Tout est frémissement, discrètes vibrations d’un lyrisme qui palpite dans l’intime.
Et au rythme du balancement subtilement inavoué de l’alexandrin, ou en des pauses habitées des ondes mystérieuses du silence, ou encore en de fugaces élancements, le vers respire, le vers chante.
Et c’est si rare ! -
Les nouvelles lettres-poèmes de Marie
Le verbe poétique ici est métaphorique. Et lumineusement transparent. Avec des mots de tous les jours, le poète transporte son lecteur dans l’ailleurs d’une harmonie supérieure et d’un idéal accessible, où il fait bon vivre et habiter